Despair [PV Taïga]

Voilà que la saison froide revenait, avec ses gels détestables. Les animaux migraient pour la moitié de l'année vers d'autres lieux, bien plus chauds. On envoyait alors des loups aptes à la chasse là bas afin de nourrir les faibles, ou les loups trop occupés. C'est vrai que chez les Rôdeurs, nous n'avions pas spécialement le temps de s'attarder à ce genre de futilités, et encore moins le courage. Les esprits, voilà ce qui terrifiait nombre de populations. Tous les craignaient, les fuyaient. Mais savait-on au moins ce que c'était de vivre avec eux ? Kayleigh se posait parfois ce genre de question, et rêvait secrètement d'être possédée, juste une fois, juste pour voir. Elle savait cependant que c'était impossible. Ceux qui étaient possédés par un esprit, le restaient pour toujours, perdant leur volonté et leur vie éphémère. Ils étaient condamnés à vivre des lustres durant dans la souffrance. Cela devait être lassant, et c'était avant tout une lourde tâche pour la Confrérie. Comment se débarrasser d'immortels ? Il suffisait de supprimer l'esprit qui était en eux, non ? C'était son seul intérêt envers les Illuminatis, ce groupe secret errant de terres en terres, gardant leur savoir pour eux.

Qu'espéraient-ils ainsi ? Sauver le monde ? Ils étaient une poignée. Cela faisait rire Kayleigh. Ah ; pour elle tout était insignifiant. Personne ne pourrait jamais rien faire. Le destin était tracé et c'était ainsi. On pouvait toujours chercher à s'y opposer. C'était l'espoir de son frère, qu'elle daignait partager, juste pour qu'il soit fier d'elle. Kayleigh voulait devenir une héroïne à ses yeux, mais même elle était insignifiante. Habituellement, elle ne quittait jamais sa grotte. Mais aujourd'hui elle était là, près de cette rivière aux douces teintes rougeâtres. C'était un ancien lieu de combat, un lieu qui a connu cette guerre qui est à l'origine de tous les maux d'aujourd'hui.

Peut-être avait-elle une faible espérance de trouver un poisson, ou quelconque matière comestible. Son ventre était vide depuis des heures maintenant, et elle longeait les lieux de façon nonchalante, à la recherche de nourriture. Elle savait que ses chances de trouver quelque chose ici étaient infimes, mais elle pouvait toujours essayer. Parfois, elle levait les yeux vers les arbres, ou les baissait pour regarder le fond de la rivière. Elle agitait le sol avec trois coups de griffes régulièrement sur son chemin, mais jusqu'à présent, elle n'avait rien trouvé. Elle se sentait faiblir, et perdre ses premiers kilos. Elle aurait du tout simplement se plaindre à son frère, avec l'espoir qu'il lui rapporte un lapin. Mais elle avait décidé de chercher sa nourriture seule, quelque soient les risques encourus.

Pouvait-on vraiment prévoir un avenir ? Il existe des questions, dont personne n'a la réponse. Parfois on se posait trop de questions ; souvent on se posait les mauvaises questions. Après tout, la vie n'était-elle pas un chemin tout tracé, dont il fallait suivre le cours sans rêver d'un contre-courant ? Nous étions là, sans même savoir ce qui nous était permis. Et Kayleigh était là, sans savoir réellement pourquoi, sans connaître ses droits.

Cela faisait quelques heures déjà qu'elle parcourait les lieux, à la recherche de nourriture. Mais ces lieux étaient déserts, sans vie. La végétation qui y poussait ne pouvait la satisfaire, et l'eau souillée, pourrie du sang des âmes disparues, la dégoûtait. Mais ce lieu avait tout de même quelque chose d'indescriptible, quelque chose d'attirant et de beau. Peut-être parce que c'était le lieu de nombreux morts ; et que la mort était belle. Quoiqu'il en soit, elle ne trouvait rien pour apaiser sa faim. Cette louve grasse, habituellement étalée au fin fond de sa caverne, avait daigné pour une fois chercher sa nourriture. Mais voilà qu'elle ne trouvait rien, voilà qu'elle se surprenait à mourir de faim, incapable de se trouver de quoi survivre. Etait-elle une incapable ? Etait-elle encore une enfant, qui avait tant besoin de son frère qu'elle détestait pourtant ?

Tristement, elle se résigna à abandonner ses recherches. Oui, c'était une incapable, une enfant ; une enfant incapable, une vieille gamine. Cela l'énervait, Kayleigh n'avait plus de patience à donner. Et alors qu'elle leva les yeux vers l'horizon, une stature blanche s'imposa devant elle. Elle était loin et proche à la fois. Ses traits dénonçaient clairement que c'était une femelle, au poil sans défaut, nacré et pur. Mais cette louve était aussi immense, d'une taille anormale. Kayleigh était elle-même une grande louve, mais paraissait à présent minable. Oh la belle Kayleigh était totalement ridicule. Etait-ce possible qu'il s'agissait d'une louve du Vaati Camp ? Ceux-ci étaient féroces ; sanguinaires. Dans les yeux de cette louve, on ne voyait rien d'autre que du charme. Kayleigh était intriguée, sans repère. La voilà face à une inconnue anormalement constituée, peut-être dangereuse, peut-être douce. Kayleigh avait appris à se méfier. La Confrérie des Rôdeurs de méfiait de tout. Malgré tout, elle n'était pas totalement sur ses gardes. Elle se sentait un peu envoûtée. Oserait-elle ? Une louve sans relation, si haineuse de la vie, si colérique, qui succombait à la tentation, à la curiosité. Son épais poil hérissait, voilà qu'elle avançait vers l'inconnue, crocs découverts, mais avec une pointe de délicatesse. Que cette louve rayonnait, comme le démon incarné qui voulait tromper les mortels, comme le démon qui réussissait. Car elle avait réussi. Et Kayleigh ne le savait pas, ne s'en doutait pas.

L'étrange louve s'approchait, sourire aux babines, et Kayleigh n'en fut pas spécialement rassurée. Elle n'avait pas vraiment vu de loups en dehors de ceux de la Confrérie. Elle se dit alors que l'inconnue qui avançait était peut-être une solitaire. Oui, une simple solitaire. Elle était bien trop grande pour appartenir aux Insurgés, l'air bien trop innocent pour appartenir au Vaati Camp, et Kayleigh ignora simplement les Illuminatis.

- Euh… Bonjour… ?

Voilà maintenant qu'elle lui adressait la parole. Kayleigh frémit, et fit un pas en arrière, oreilles plaquées. Comme toujours, elle ne parlerait pas. A présent, l'étrangère tenta de sentir son odeur. On pouvait y sentir celle de Balthier. Par conséquent, elle fut encore plus en alerte. La louve était si proche que sa taille l'intimidait. Et pourtant, à y penser, il n'était pas totalement impossible qu'un loup normal fasse cette taille. Mais Kayleigh était de nature craintive, et recula une nouvelle fois d'un pas, tout muscle contracté, fixant les yeux de la louve, à la recherche d'une quelconque menace.