« La souffrance d'un être seul [Pv Nebt Het]

Comme le chêne, s’enchaine au sol. Pour rester en vie moi je vis seule.
Mon univers est solitaire, sur cette terre moi je vis seule.

Errance. Errance éternelle d’un être qui n’a jamais su trouver sa place dans monde. Il n’était donc pas étonnant de voir la louve blanche errer seule, comme un fantôme depuis longtemps oublié, sa démarche souple et élégante trahissant cependant une certaine hésitation. Comme si elle regrettait déjà d’être là. Ce qui était fort compréhensible, après tout elle était en train de visiter des terres bien inhospitalières. Ces terres dévastées, souillées. Le sol avait absorbé tellement de sang qu’il semblait prendre une teinte rouge, et plus rien n’osait pousser dans cette région. Et Isïl n’avait trouvé meilleure occupation que de venir ici, avec l’idée macabre de deviner le passé de chacun des loups qui avaient péri ici, une fois qu’elle trouverait leur cadavre sur son chemin. Et c’est ce qu’elle faisait, alors que ses membres la guidaient progressivement en avant, à pas lents, elle observait les ossements à ses pieds et murmurait des noms sortis tout droit de son esprit, avant de réciter une histoire qui était également inventée de toute pièce. Ses prunelles de glace étudiaient chaque cadavre, ou du moins ce qu’il en restait, alors que le visage de la demoiselle semblait gravé dans le marbre, une expression de neutralité absolue peinte sur le visage.

Voici ce que je vois… Ici, un loup. Useless Hope, combattant d’exception qui avait passé toute sa vie à l’écart des autres loups, qu’il jugeait indignes du moindre intérêt. Du moins jusqu'à ce qu’il trouve la perle rare, une vraie vipère qui lui convenait à merveille. Alors, à la surprise générale, il a eu des louveteaux, plusieurs. Et il a péri sur ce champ de bataille, comme tant d’autres. Et pour quoi ? Une mission, un but, une conviction, un choix, un principe… Qu’en sais-je. Il s’est juste battu, jusqu'à la mort. Peut être était-il à la poursuite d’une vulgaire chimère. Et vu les ossements à ces côtés, la perle rare s’est éteinte avec lui, au même instant, dans un même souffle. N’est ce pas romantique au possible ? Et tellement tragique… que cela me donnerait envie de vomir. A quoi bon mourir pour si peu, à quoi bon mourir quand l’on sait que cette fin est inévitable. Comment ces loups ont-ils le courage, ou la folie, d’aller au devant de leur propre destin, sans même frémir un seul instant.

Ces loups… étaient forts. Bien plus forts que moi.
Ces loups… avaient des principes, des envies, des convictions. Et moi ? Pour quoi, ou pour qui, ai-je pris la décision de me battre ? Je l’ignore. Evidemment je peux toujours faire des hypothèses, je le fais peut être par vengeance, envers cette ancienne meute auprès de laquelle j’ai tant souffert. Ou peut être ai-je juste envie de défendre une cause que j’estime juste, ou tout du moins respectable. Ou bien encore, peut être que je me bats par ennui, par simple ennui. Ou bien par envie, l’envie d’être entourée et peut être comprise, bien que je fus encore assez vite déçue. Tssss.
Non, il n’y a décidément aucune raison de se battre, et encore moins de mourir.
Aucune cause n’est valable, aucune cause ne mérite que je me sacrifie pour elle.
Je survis, depuis tellement longtemps, et je continuerais encore un bon moment. Et je continuerais de servir les rodeurs, sans me battre. Qu’ils aillent donc se faire saigner sur un autel puis possédé par un esprit. Cette fois, ce sera à mon tour de les haïr, et de me moquer pour cette folie qui se mettra à les hanter... Ce sera ce qu’on l’appelle, « l’ironie du sort ».

Soupir. Qui déchire l’âme. Soupir. Qui fend le cœur.
Dans un grognement agacé, la demoiselle reprit sa route, accélérant de manière imperceptible l’allure, sa démarche étant désormais dépourvue de la moindre hésitation. Assurance. Assurance d’un être qui est habitué à vivre seul, qui ne se sent bien qu’une fois seul, qui devient un autre une fois entouré. Et en cet instant, Isïl comprit qu’elle deviendrait une autre, car elle venait de sentir la présence d’un autre loup. Ou plutôt d’une louve. Et elle n’était pas loin, ce qui agaça encore plus la louve au pelage hivernal. Elle ne pouvait pas fuir. Il lui faudrait faire face à un congénère qu’elle ne voulait pas connaître, pas voir, et encore moins toucher. Dans l’intérêt des deux louves, il ne fallait surtout pas qu’il y ait contact. Alors, de nouveau, il y eu ce soupir. Lassitude. Souffrance. Et alors que son cœur palpitait à vive allure dans sa poitrine, Isïl fit volte face, afin d’apercevoir cette inconnue qui s’approchait. De ce qu’elle parvenait à voir, Isïl découvrit qu’il s’agissait d’une louve au pelage gris, à l’allure fine. Une bien belle louve en vérité, du moins de ce qu’elle pouvait en juger. Et bien vite les prunelles glacées de la louve blanche se posèrent dans celles de l’inconnue. Le visage toujours gravé dans la glace, cette expression neutre et froide lui collant à la peau. Seul ses yeux semblaient exprimer quelque chose, tout au fond, et seuls ceux qui savaient vraiment voir et lire pouvaient déceler cette lueur d’infinie souffrance. D’infinie solitude.
Un être incompris finit toujours seul, triste, fou.

J’ai vu ton monde, de mes propres yeux.
Il est bien trop dangereux, trop douloureux…

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