Première étape : Attendre.

L'île, Kishi la connaissait bien.
C'est même un euphémisme : l'île est pour la louve l'équivalent de la coquille d'un escargot pour l'escargot qui y vit ; puisqu'elle y est née et en a fait le tour des dizaines de fois, si ce n'est plus. Mais la comparaison s'arrête là : l'île ne joue absolument pas le rôle de coquille auprès de notre Kishi (qui n'est pas non plus une escargotte), effectivement c'est plutôt à la louve d'être la coquille protectrice de son territoire.
Errant comme à son habitude dans ses terres familières, Kishi avait pour but premier de repérer tout comportement anormal, puis d'agir en fonction. Cependant, aujourd'hui, son compte-rendu n'allait pas être très étoffé : Pas un loup à l'horizon ! C'est à croire qu'il ne se passe plus rien, sur cette île. Et pourtant, elle était très dynamique ces temps-ci, puisque tout le monde était agité par les dernières rumeurs. En effet, tout le monde raconte partout que des loups venant d'ailleurs allaient envahir l'île. Ces loups, certains disent qu'ils sont mutants, d'autres qu'ils sont irradiés, d'autres que ce sont des loups hybrides d'un autre animal mystique encore inconnu. Leur origine ? Soit magique, et dans ce cas Kishi a déjà entendu quelqu'un dire "ils viennent du ciel pour nous anéantir!", ou alors qu'ils allaient apparaître d'un coup dans la Pampa Nôplye de l'île, comme si de rien n'était ; soit réelle et dans ce cas ils viendraient du continent humain où aucun loup de l'île ne semble être allé. Bref, tout le monde raconte une version de l'histoire plus ou moins différente, il est ainsi inutile de vous dire toutes les hypothèses émises par chacun sur l'objectif de ces loups inconnus...
D'ailleurs, Kishi ne fait rien d'autre que d'écouter ces rumeurs. En fait, c'est à peine si elle en prend compte : Pour elle, il s'agit de pures inventions pour effrayer les loups. Le seul problème est l'ampleur que prennent ces rumeurs : Premièrement, elles ont incités les Taïgas à s'allier avec les Toundras - alors que, étant donné que ces deux meutes sont les seules de l'île, il y avait forcément de grosses tensions entres elles -, et ensuite, tous les chefs de meute semblent se préparer à l'affront ; comme si il allait s'agir d'un combat acharné. Cela voudrait peut être dire que les sources sont sûres. Mais la louve noire n'y a pas trop réfléchit, à vrai dire, elle fait son boulot. Si leur existence se révèle fausse, ça ne changera rien à sa vie, et si elle se révèle vraie, les Taïgas auront vite fait d'éliminer la menace. Pourquoi se tracasser alors que tout le monde sait que les Taïgas savent gagner une guerre mieux que quiconque ?

C'est à cause de tout cela que Kishi se retrouvait à errer à travers l'île, aux aguets, en cette matinée d'été. La louve noire s'était retrouvée dans la forêt, endroit préféré des animaux, petits ou grands. Elle s'était placée sous une sorte de butte, dans l'ombre d'un arbre, et guettait une activité quelconque. Ses oreilles, tendues, cherchaient un son autre que le piaillement des oiseaux qui la narguaient à leur hauteur. Aussi, de ses grands yeux bleus, elle vérifiait que rien devant elle ne bougeait : Les herbes étaient à peine secouées par le vent, lui même ralenti par la densité des arbres, et tout semblait calme. Subitement, Kishi eut une sorte de sursaut, un pré-sentiment. Comme un poids, qu'elle tentait d'analyser : Etait-ce une présence ? Quelqu'un qui l'épiait ? La venue d'un animal comestible ? Instantanément, elle se baissa, prête à sauter pour attaquer ou bien s'enfuir.

C'était une journée agréable et banale qui s'annonçait pour Phoenix, ou plutôt, une longue marche à travers les vastes territoires de l'ile. Levé aux aurores, le jeune mâle n'avait même pas mangé qu'il s'était déjà mis en route pour trouver d'éventuels intrus à chasser ou à tuer. Pour lui, cette tache importante était habituelle et se résumait à la moitié de son temps. Ce devoir de protéger son territoire ainsi que sa meute était une fierté qui pulsait dans ses veines, une partie de lui même. Instinctivement, le rouquin c'était d'abord dirigé vers les terres les plus reculées pour les ratisser efficacement et ne louper aucun intrus. La foret allait donc être son dernier lieu à visiter et ceci n'était pas pour lui déplaire. Généralement, les étrangers n'osaient pas s'aventurer dans un lieu de chasse si proche d'une meute telle que celles de la Toundra. De son pas le plus détendu, le loup avait sillonné les territoire depuis ce matin et sentait la fatigue prendre peu à peu le dessus sur ses membres. Chaque bruissement dans les buisson, chaque mouvement éveillaient dans ses yeux sombre, une flamme dévastatrice qui annonçait son envie de mordre dans de la chair fraiche. Pourtant, il s'y refusait toujours, ne voulant pas faire une pause avant d'être certain que leur territoire était bel et bien sur. Phoenix adorait son travail, mais il détestait les étrangers. Jamais il n'aurait laissé sa faim, même coriace, le stopper dans sa mission de patrouille. A mesure qu'il avançait, les arbres s'épaississaient autour de lui, la vegetation devenait danse et sauvage. Le loup comprenait qu'il entrait dans la foret et l'odeur délicieuse des pins venait caresser ses narines. Au bout de quelques instants, le guerrier roux sentit une présence et une odeur inhabituelle en ces lieux. La gueule entre-ouverte, le mâle se figea et scruta les environs de ses yeux perçants. Le vent secoua paresseusement les herbes ainsi que sa fourrure flamboyante, il se plaqua au sol en tendant ses muscles. Doucement, le rouquin se mit à avancer jusqu'à ce qu'il perçoive une forme noire adossée à un grand arbre. Ses crocs se découvrirent en silence. Phoenix s'avança encore de quelques centimètres puis il bondit hors de sa cachette et se planta devant cette forme noire, prêt à lui trancher la gorge. Néanmoins, l'agressivité qui se lisait sur son visage disparut instantanément lorsqu'il découvrit l'identité de cet être. Il ne s'agissait pas d'un étranger mais de Kishi, une de ses seules amie d'enfance ... La jeune louve noire était un membre à part entière de sa meute et Phoenix fut très surpris de tomber sur elle par hasard. Après avoir passé des heures à jouer ensembles lorsqu'ils étaient petits, il était évident que les deux camarades de meute avaient tissés des liens d'amitié particuliers. Quelques souvenirs de leurs jeux et de leurs bêtises remontrèrent alors dans son esprit. Phoenix laissa un sourire gêné se dessiner sur son visage tendit que ses oreilles se penchaient vers l'arrière. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas été adresser la parole à cette chère Kishi et voila qu'il avait faillit l'attaquer. La jeune louve ne devait pas en être très heureuse. De plus, le temps et leurs responsabilités à tout les deux semblaient les avoir séparés lentement. Embarrassé par se silence, le mâle chercha quoi lui dire tendit qu'il la regardait de ses yeux sombres. Elle était n'avait pas changé. C'était toujours une jolie louve noire aux yeux bleus clairs.

- Salut Kishi ... »

Finit par articuler Phoenix tout en ayant le sentiment d'être complétement ridicule.

Des pas venaient sur la gauche de Kishi. Muscles tendus, elle cherchait à analyser la situation, mais le vent n'était pas à son aide pour déterminer l'origine du bruit : Effectivement, la course de la masse d'air était ralentie par les nombreux arbres plantés dans la Forêt Tempérée Tissence ; mais surtout, elle prenait source à la droite de la louve noire. Ainsi, elle pouvait sentir les odeurs des êtres venant de cette direction, mais pas celles de ceux qui se trouvaient à sa gauche. Pire : Ils pouvaient la sentir, et elle non. Et bien évidemment, c'est de cette direction qui la mettait en faiblesse que semblait provenir l'inconnu !
Mais Kishi n'eut pas trop le temps d'attendre, ni de se déplacer, ni de rien faire qu'une masse plutôt imposante lupine avait bondit en face d'elle. Mais alors qu'elle allait réagir pour se défendre et attaquer cette chose, elle s'arrêta immédiatement en le reconnaissant. " Quel imbécile ! " avait-elle pensé sur le moment. Elle lui a sourit, gênée de cette situation, alors qu'elle était toujours tapie sur le sol en position stratégique de combat.
Cette situation lui rappela soudainement un de leurs jeux, dans une époque pas si lointaine. Sous les entraînements des Taïgas - et comme c'est une meute réputée pour ses connaissances en matière de guerre, il s'agit d'entraînements très difficiles -, il n'y avait quasiment pas de place pour tout ce qui relevait des jeux. Elle n'avait donc pas le droit de jouer avec qui que ce soit pendant les temps d'entraînements, qui se devaient intenses si elle voulait en préserver la qualité. Maintenant, cette même sensation refait surface : Celle où elle jouait avec ce même loup et où le jeu s'arrêtait instantanément pour reprendre des choses sérieuses.
Les choses sérieuses, maintenant, c'était de reprendre une position normale pour ignorer l'erreur précédente. Elle s'est donc relevée très doucement, pour faire comme si elle ne s'était jamais baissée. Par soucis de discrétion, sa lenteur en était presque comique... Surtout ajoutée au silence qui pesait maintenant sur les deux loups qui semblaient aussi mal à l'aise l'un que l'autre.
- Salut Kishi ... articula enfin l'autre loup.
Sa voix avait mûri. Son corps aussi. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas pu l'examiner de si près, puisque pour sa mission d'espionne, Kishi était toujours en déplacement d'un bout à l'autre de l'île. Il devait sûrement en être de même pour son ami, qui avait suivi une formation de guerrier et qui se devait ainsi de protéger le territoire. Il est d'ailleurs toujours pratique pour un espion d'avoir un guerrier à ses côtés lorsqu'on tombe sur un intrus : Autant l'espion sait traquer et suivre sa proie en toute discrétion, autant une fois que l'attaque par surprise est lancée, on n'a plus aucun avantage. Le loup guerrier par contre, par définition de sa force et sa robustesse, peut tenir un long combat et le mettre à son avantage à tout moment.
Salut, Phoenix. dit-elle enfin, en souriant, quoi que vexée d'avoir été interrompue aussi brusquement, mais tout de même heureuse de tomber sur sa présence. Repensant soudainement à sa mission, déclara :
Si tu cherches un loup par ici, crois moi que c'est comme si tu cherchais un loup radioactif sur l'île entière !. C'était de l'humour Kishi. Elle n'était pas spécialement sociale, ce genre de remarque lui était donc très rare - en fait, ses phrases sont rarement longues, mais elle avait l'envie soudaine de faire un peu d'humour avec les rumeurs actuelles. Pour revenir à des idées plus terre-à-terre, elle ajouta : Ca fait des heures que j'erre ici, et rien à l'horizon.
Puis elle s'approcha un peu de Phoenix, son ami, et huma son odeur. Elle n'avait pas changé. Elle lui fit revenir en tête tout pleins de bons souvenirs qui lui provoquèrent un sourire. Cela faisait tellement longtemps qu'elle ne s'était pas retrouvée seule avec lui, comme autrefois.

Un silence pesant s'éleva avant que la louve ne reprenne la parole. Durant ces quelques instants, les deux amis d'enfance se regardèrent bêtement dans les yeux en se rendant compte l'un l'autre, que la conversation n'allait pas être simple ... Le vent passa lentement dans leurs fourrures aux couleurs si différentes et Phoenix prit une profonde inspiration.

- Salut, Phoenix. »
Finit par répondre Kishi en un sourire. Le guerrier roux essaya de lui rendre son sourire et parvint à le faire sans trop de difficulté.

- Si tu cherches un loup par ici, crois moi que c'est comme si tu cherchais un loup radioactif sur l'île entière ! »
Le sourire de Phoenix se précisa. Il rit doucement. Cet humour propre à son amie lui démontrait qu'elle n'avait pas changé et qu'elle était toujours capable de le faire rire. C'était peut être même la seule à pouvoir y parvenir. Le rouquin était heureux de l'avoir retrouvée mais il n'arrivait pas à le lui montrer.

- Ça fait des heures que j'erre ici, et rien à l'horizon. »

- Tant mieux, au moins le territoire n'est pas parasité d'intrus ... »
Répondit le rouquin avec un air sérieux. Son estomac se noua lorsqu'il remarqua à quel point il était froid avec elle. Pourquoi je n'arrive pas à montrer que je suis heureux de la voir ... ?
Puis vint un moment qui lui fit encore plus étrange. Sans crainte, Kishi s'approcha de lui pour
sentir sa fourrure. Déstabilisé, le mâle la regarda sans bouger. Elle devait bien être la seule qui avait put s'approcher si près de lui sans prévenir et sans perdre sa tête. Phoenix la vit sourire. Il se détendit puis, par une affection improbable, caressa son épaule du museau pour la sentir à son tour. Sa délicieuse odeur qui venait l'embaumer lui rappela son passé. Il sourit sincèrement, fermant les yeux. Kishi avait été une si bonne amie, alors pourquoi s'étaient ils perdus de vue ? Cette présence chaude lui donnait envie de retomber en enfance et de repartir dans des jeux de louveteaux. Il avait envie de jouer avec elle comme ils le faisaient autrefois !
Les yeux bleus sombres du mâle se levèrent vers Kishi. Contrairement aux autres louves de la meute, Phoenix avait parfaitement confiance en elle et pouvait lui offrir son cou, ainsi sans défense.

- Tu te rappelle quand on était petit ? »
Il se redressa, souriant.
- C'était la belle époque. »