Amuse-gueule loupé

Des cris, de la lumière éblouissante et du sang. La terre avait tremblé et le ciel avait paru prêt à les dévorer, eux, minables créatures terrestres. Mais lentement la peur et la folie avaient laissé la place au puissant instinct de survie. Courir avait été leur seul et pathétique moyen de survie contre un danger invisible. Le silence qui avait suivi ces nombreuses explosions avait semblé bien plus inquiétant que tout ce tintamarre. Pourtant, il avait permis aux spectateurs indemnes de reprendre leur esprit, ou du moins d'essayer. Alors, avec ce semblant de trêve, la solidarité était réapparue et des groupes de recherches de survivants s'étaient formés. Tous les rescapés avaient d'abord connu une vague de tristesse pour les disparus. Mais rapidement, elle fut remplacée par une nouvelle crainte : la faim. Depuis toujours ce besoin existait chez les êtres vivants. Cette fois-ci, c'était carrément la famine qui survolait les terres dévastées. Peu d'animaux étaient encore en vie et la plupart étaient des loups. Comment nourrir tous ces carnivores ?

Béhémoth n'en avait pas la moindre réponse. Il savait seulement que quelque chose dans l'air les avait fait changés physiquement mais aussi mentalement. Lui, il avait eu droit à un peu plus de muscles. C'était utile pour un Guerrier tel que lui et aussi pour la chasse. Mais il n'y avait pas le moindre bout d'adversaire ni même de proie du genre grand herbivore. C'était vraiment désertique à en pleurer. Heureusement le projet Akiani était là pour donner un peu d'espoir. Avoir un objectif permettait d'avancer et de combattre tout ce désastre. Il y croyait, lui. Mais il se doutait bien que cela n'aller pas être facile de réussir ce but. De nombreux obstacles allaient sûrement se dresser sur leur route. Il faudra faire preuve de toute sa volonté pour les dépasser. Resserrer les liens entre membres des deux meutes serait aussi d'une aide importante. L'entraide ferait leur force.

Soudainement, un insecte se détacha de la paroi et fila devant son nez. Béhé' qui sentait son estomac gargouiller ne laissa pas cette occasion passer. N'importe quelle bestiole était bonne à manger en ces temps durs. Il partit donc à sa poursuite, avec une légère crainte que les passerelles ne supportent pas son poids. Elles grinçaient déjà affreusement sous sa course. Mais temps pis, la nourriture était plus importante. Il se rapprochait dangereusement du cafard mutant et il commençait à saliver à l'idée de pouvoir se mettre un petit quelque chose sous les crocs. Sauf que la nature lui joua un tour. Il fallut qu'un enchevêtrement de racines apparaisse devant eux. Et bien sûr, l'invertébré ne perdit pas un instant pour aller se réfugier dedans. Le canidé dut ralentir son allure pour finalement s'arrêter. Rapidement, avec une dernière once d'espoir, il passa son museau dans un trou pour tenter de rattraper le fuyard. Mais en vain. La végétation était le domaine des petites bêtes. Il avait perdu la partie. D'un air dépité, il se laissa choir sur son séant. Il regarda la barrière végétale en poussant un soupir. Vraiment, çà ne les aidait pas dans leur survie tout çà.

Elle avait reccomencée. Il avait de nouveau fallu qu'elle s'aventure un peu trop loin seule, qu'elle joue a la petite Exploratrice du Dimanche, et qu'elle se perde dans ce tas de racines vertes, de branches sèches et autres. Elle avait beau être passée ici des millions de fois avec quelques loups de sa Meute, s'y aventurer seul restait toujours une grande épreuve pour elle, dont le sens de l'orientation était plutôt médiocre. Elle avait appris qu'une étrange catastrophe s'était abattu sur quelques équipes d'exploration de ce secteur, et bien qu'elle le nie en bloc, elle n'avait su résister a l'appel de son coeur, qui l'encourageait a se rendre sur place pour constater les faits d'elle-même. Bien sûr, au début, elle était confiante, et marchait agilement sur les rochers acérés, ne prenant même pas garde aux racines qui fouettaient sèchement ses pattes. Puis, petit a petit, l'obscurité s'était fait plus dense, un horrible grondement au loin l'avait mise sur ses gardes, et a force d'être ainsi aux aguets, elle avait finie par perdre le chemin du retour. Et son assurance par le même temps.
Un soupir de résignation s'échappa de sa gueule, et elle s'arrêta un instant, les pattes engourdis. Si jamais Kaybe venait a avoir vent de cette petite Escapade, elle risquait fort bien de passer un sale quart d'heure. Mais oui, mais elle est comme Athéna, toujours a vouloir aider les autres tout en faisant la grosse dure! Ses yeux noirs fixèrent longuement le mur devant elle, et elle sentit la fatigue s'emparer d'elle. Si ça continuait comme ça, elle ne tarderait pas a sombrer dans les bras de Morphée...ah celle-là! Toujours là quand il faut pas. Mais, elle se ressaissit peu de temps après, et avec courage, prit le chemin de droite, tout en priant silencieusement pour qu'il la mène enfin quelque part, ou des loups sauraient l'aider.

Après avoir bien ronchonné intérieurement contre Dame Nature, Béhémoth songea qu'il était inutile de rester ici plus longtemps. Il aurait peut être plus de chance dans les galeries ? Quoique, avec l'obscurité qui régnait dans certaines zones, ce n'était guère sûr. Autant continuer à errer par ici, sous la lumière du jour avec l'agréable odeur des arbres. Elle lui rappelait tellement la forêt qu'ils avaient dû précipitamment quitter à cause de la Catastrophe. Il ouvrit en grand ses narines pour inspirer le plus possible cette effluve végétale qu'il lui était si agréable. Si seulement il pouvait s'en envelopper et la garder partout avec lui comme un cocon protecteur. Elle lui permettrait de continuer d'avancer avec plus d'entrain et de réconforter ses camarades. Oui, si il pouvait capturer cette odeur et la partager à tous, il était persuadé que jamais l'espoir ne s'éteindrait et qu'ensemble ils parviendraient à leur but.

Mais un bruit de pas, dans ce paysage sans pépiements d'oiseaux, le sortit de sa douce rêverie. Quelqu'un approchait dans sa direction. Si cela avait été des rats, il aurait plutôt entendu des dizaines de grattements. Mais là, c'était simplement des pattes qui foulait les lieux d'une démarche ponctuelle. Le Guerrier se leva et s'ébroua chassant l’effet des rayons du Soleil. Il était prêt à accueillir le nouveau venu. Et ce ne fut pas un inconnu qui apparut, mais Athéna, une guerrière de sa chère meute. A sa vue, Béhé’ afficha un grand sourire sur son visage. Puis, il trottina vers elle. Arrivé à la hauteur de la louve, il lui donna un coup d’épaule pour la saluer de façon « guerrier ». Oui, entre les soldats il y avait toujours une certaine familiarité.

« Salut Athéna ! Qu’est-ce tu fais par là ? Tu cherches toi aussi quelques insectes à te mettre sous la dent ? » s’exclama-t-il d’une voix gaie.

La louve cherchait encore et désespérement une sortie, lorsque des bruits de pas l'alertèrent. Peut-être un quelqconque survivant d'une équipe d'exploration, qui sait. Elle s'arrêta brusquement, les pattes raidis et les muscles tendus. Un ennemi pouvait aussi s'en être pris a eux, pour finalement se perdre dans ce maudit labyrinthe.
Heureusement pour elle, ce fut un pelage roux-gris qui se dessina dans la lumière crée d'une fissure de la Grotte, et ce fut avec un immense soulagement qu'elle aperçut Béhémoth, un des chers Guerriers de sa Meute. Ouf, au moins, il s'y conaissait dans ce dédale de Pierres. Alors qu'elle restait droite comme un piquet, le jeune loup s'approcha d'elle, tout joyeux, et lui flanqua un léger coup d'épaule, pour la saluer de "façon Guerrier". Oui, c'était entre autre devenu une habitude dans leur Meute, que les Guerriers se saluent ainsi, d'une bonne bourrade bien virile. Athéna avait eu du mal a s'y faire, mais après tout, c'était plutôt amusant, et sympathique.
- Tiens, Béhémoth. Non, je ne cherche pas des.."insectes" a manger, je me suis juste inquiétée pour les équipes d'explorations qui ne sont pas encore revenues. Dis-moi, tu as quelques nouvelles?
Avec un fin sourire, elle le tapa également de l'épaule, en y allant franchement. Après tout, c'était un mâle Guerrier, et elle savait bien qu'il avait de la Force a revendre.

Athéna lui expliqua qu’elle était venue par ici pour avoir des nouvelles des fameux explorateurs. Elle était inquiète pour eux. C’était un comportement maternel qui fit sourire Béhémoth d’une manière chaleureuse. Elle ne faisait pas exception aux autres Soraars : leur priorité était la santé des autres. Prendre soin de soi et de ses congénères faisait parti des valeurs de la meute qu’il chérissait tant.

« Shu-Di, Shiva, Outlaw et moi formons le groupe d'exploration des mines Eksorables. Nous n'allons pas tarder à rentrer. Nous faisons un dernier tour des lieux pour bien tout vérifier. Il n'y a pas grand chose à raconter de notre côté. Nous n'avons rien découvert d'intéressant et beaucoup de zones sont restées inexplorées. Nous ne sommes pas assez nombreux pour tout couvrir. Mais, tout le monde a bien été prudent et aucun blessé n'est à déplorer. »

Oui, il était rassuré que tout ce soit passé et qu’ils n’aient pas eu à retrouver d’autres corps sans vie de personnes chères. Melek lui avait largement suffi... D’autres pertes risquaient d’enfoncer, encore plus loin dans le désespoir, les esprits fragiles. Puis, la louve lui rendit son coup d’épaule avec entrain et par la même occasion chassa de ses pensées la sombre image de l’Alpha décédé. Un petit rire sortit de la gorge de Béhémoth et il fit mine de se laisser emporter par la force de sa camarade. Il vacilla sur ses pattes, avant de s’effondrer sur la louve. La machine de guerre se retrouva allongée de tout son poids, les yeux fermés, sur la guerrière. Il voulait simplement plaisanter et relâcher sa joie débordante qu’il avait dû contenir durant ces deux jours. La présence d’Athéna était le moyen parfait.

Tandis que Béhémoth lui expliquait rapidement la situation, et qu'elle écoutait d'une oreille attentive, elle ne perdit pas de vue le petit sourire en coin du Guerrier. Eh oui, son inquiétude pour les autres allait bien finir par lui porter défaut un de ces jours. Mais, si elle tombait, les autres tomberaient avec elle. Car dans leur Meute, la Santé et la Protection des autres passe avant tout, elle ne le savait que trop bien. Quelle chance qu'elle ait rencontrée les Soraar avant les Taïga. Tiens, en parlant d'eux...cela allait déjà faire un petit bout de temps qu'elle n'avait pas croisée de lupins ennemis sur leurs Terres, ou senti leurs odeurs pestilentielles aux frontières. Bizarre.
- Bien. Même si nous ne sommes pas beaucoup aussi talentueux et courageux que vous pour partir explorer ces Mines, tant que vous nous revenez sains et saufs, le reste n'a que très peu d'importance.
Oh oui, que de belles paroles. Mais elle mentait. Petite, lorsqu'elle s’entraînait, on avait l'habitude de leur raconter les mésaventures des Anciers Guerriers ou Alphas de la Meute. Elle en avait appris des choses sur leurs Ancêtres..dont des histoires qu'elle aurait préférée ne jamais entendre.
Alors qu'elle s'évadait de plus en plus loin de son esprit, ce fut l'étrange manège de Béhémoth qui la ramena a la réalité, et lui tira un fin sourire. De nouveau. Il vacillait doucement, comme si le coup qu'elle lui avait portée s'avérait trop puissant, et finit par s'étaler sur elle. Heureusement qu'elle était de bonne constitution, sinon, elle serait déjà morte sous toute cette montagne de muscles!
Elle étouffa un soupir joyeux, et fixa un long moment le guerrier, qui les yeux fermés, semblait dormir, loin des problèmes qui les opposaient tous. Sereine, elle laissa sa tête tomber au sol, et fixa le plafond, incertaine.
- Dis Béhémoth..a quoi tu penses?
Athéna était en proie aux problèmes, et voir les loups de l'île les rejeter ne faisait qu'aggraver son trouble. Autour d'elle, on ne parlait déjà plus que de Guerre...imaginez donc ce qu'une pauvre Pacifiste Guerrière pourrait dire dans cette situation! Quoi qu'elle fasse, elle n'avait rien a dire. C'était aux Dominants dedécider, et elle avait confiance en eux. Ils feraient très certainement le bon choix. Enfin..elle l’espérait.

[Au fait, les Soraars et les Sermeks ne connaissent pas l'existence des Taïga et des Toundra. Ils n'ont pas encore découvert l'existence de l'Île ;) ]

Athéna n'essaya même pas de se débattre à coup de pattes ou autre. En même temps, il faut dire que Béhémoth est un peu beaucoup lourd et s'en débarrasser devait être difficile. En lui cas lui, il était confortablement installé et il n'était pas prêt pas bouger de sitôt. Il pourrait même se laisser à faire une petite sieste, histoire de rattraper son sommeil perdu avec l'exploration des mines. Les prunelles cachées sous les paupières, il écoutait le souffle régulier de sa camarade. Ce son avait une faculté apaisante un peu comme un coquillage porté à l'oreille. Mais son écoute eut une interférence lorsque la femelle ouvrit la gueule et prononça quelques mots. Béhé' les attrapa aux creux de ses oreilles et les digéra. Il laissa quelques secondes de silence planer avant de répondre d'une voix calme.

« Je songe au Grand Voyage qui approche à grand pas. D'un côté, je suis un peu triste de quitter ces terres qui m'ont vu naître. Mais, maintenant elles n'ont plus rien à nous proposer. Elles nous sont devenues hostiles et le paradis des Rats. Je me rappelle de la Forêt, avant la Catastrophe. C'était si beau et la vie y était douce. J'espère sincèrement que l'on puisse retrouver un endroit pareil ou du moins semblable. Je m'attends aussi au pire lors de notre migration. Qu'allons-nous donc trouver au dehors des frontières ? Des dangers assurément. Après, ce n’est pas le combat qui me fait peur, bien au contraire j’adore çà. Mais je m’inquiète pour les autres. Les Sermek sont bien jeunes et résisteront-ils à tous les obstacles ? Et les nôtres, qui sont déjà affaiblis, combien d’entre eux parviendront jusqu’à la fin du chemin ? »

D’autres pertes seraient à déplorer, c’était certain. Le mâle aurait beau souhaiter de tout son cœur que tous survivent, cela ne changerait pas le destin. Ensuite, il reprit parole avec détermination cette fois-ci.

« En tant que Guerriers, nous allons devoir nous montrer forts. Nous sommes les protecteurs de l’Akiani. C’est grâce à notre assurance que les autres garderont confiance. Et toi, Athéna, quel est ton point de vue sur la situation ? »

(Ah Okay...tsais quoi, tu viens de m'apprendre un truc là. )

Le Guerrier ne lui répondit pas immédiatement, puis se confia a elle, avec une telle chaleur dans la Voix qu'elle en fut troublée. Elle qui avait souvent voyagé a travers les Terres, et qui n'avait aucune famille ici, elle n'était pas énormément attachée a ces Terres. Mais lui, apparemment, y avait passé les plus grandes années de sa jeunesse, et lui rappelait de doux souvenirs. C'était..adorable. Elle ferma les yeux, se laissant bercer par la douce respiration de son camarade, dont les muscles se détendaient les uns après les autres. Il devait penser a se reposer. C'était assuré, les Guerriers seraient en première ligne pour affronter les pires Dangers, alors si l'un d’entre eux allait mal, ce serait une véritable brèche dans leur défense. L’exploration était importante, mais pas au point de risquer leur vie. Ses dernières paroles l'étonnèrent, et la réchauffèrent en même temps. Oui, il avait raison, les Guerriers Soraar avaient pour mission de protéger l'Akiani, et leur Meute par la même occasion. Mais combien ne survivraient pas a cette aventure? Voir ses camarades tomber devant elle serait un véritable déchirement pour elle. Elle avait beau être forte physiquement,psychologiquement, c'était Guimauve. Pour les Sermeks, elle n'avait aucun avis. S'il le fallait, ,elle les aiderait, mais elle penserait d’abord a sa Meute avant la leur.

- Moi..eh bien, je suppose que je ne saurai jamais mieux raisonner que toi. Tes paroles sont justes, et sages, je suis rassurée que les Soraar soient protégés par quelqu'un d'aussi bon que toi. Je suppose que, comme tous, j'ai peur de ce qui nous attend au-delà des frontières. Je sais que nous trouverons des endroits magnifiques, et surement un peu de Nourriture..mais, si des Humains vivaient au-delà de nos Territoires, nous auront bien du mal a leur échapper. Je ne souhaite pas vous voir mourir de mes propres yeux. Plus jamais, parce que je sais que je ne le supporterais pas.

Les yeux plissés, elle se rappelait tout désormais. Sa mère, son Père, et sa petite soeur, autrefois si souriante. La plage qui les avaient vus naître, les quelques crabes avec lesquels ils s'amusaient autrefois...pourquoi fallait-il qu'elle s'en souvienne maintenant? Surement pour se souvenir qu'elle n'avait su protéger personne. Mais maintenant, elle donnerait volontiers sa vie pour préserver celle de sa Meute.

- Mais je sais que les Sacrifices sont nécessaires si la Meute veut survivre et prospérer, alors je m'abstiens de tout commentaire, et je me contente d'obéir a nos Alphas. Nous devons reposer notre Confiance sur eux, mais aussi sur nos autres camarades Guerriers. Parce que nous sommes tous ensemble, soudés tels une famille. Et ça, c'est bien ce qui me permettra d'avancer vers l'inconnu sans crainte, a vos cotés.

Oh oui, elle en avait vu d'autres. Les Soraar ne s'éteindraient pas si facilement, elle en était persuadée. Ils survivraient, et deviendraient plus forts de génération en génération. Peut-être ne seraient-ils plus là pour observer cette avancée, mais depuis le Ciel, peut-être qu'ils les entendraient raconter la Traversée de leurs Ancêtres, et la noble vaillance qui les avaient poussés au-dehors de leurs Frontières. Quel doux rêve...